La méthode sans le discours
D’une certaine façon, le graveur est un technicien de surface. Il décape, dégraisse, récure le monde et le rend pour les regards d’une netteté bouleversante. Depuis une demi-douzaine de décennies, de Mostar et de Sarajevo où il a appris ce qu’il ne faut surtout pas ignorer, jusqu’aux Ardennes où il s’est imprégné de ce qu’il faut savoir, en passant par des débuts brillants à Paris, puis des expériences décisives à l’île de la Réunion, Omer Resic s’est employé à trier entre ce qui vaut d’être signalé et ce qui peut attendre, avec un goût prononcé pour la célébration des travaux nés de l’imagination humaine ou des nécessités du quotidien.
De l’archaïsme traditionnel à la modernité urbaine, il n’a de cesse que de rendre justice aux objets de la vie ordinaire, les plus simples comme une chaise ou une fenêtre et les plus complexes comme le quartier d’une ville ou un paysage façonné par des siècles de culture, en apportant à leur représentation autant de minutie, d’habileté, de patience et d’attention qu’il en a fallu aux bons artisans pour atteindre la perfection indépassable de l’évidence.
Guidé par l’idée que la gravure est un métier, c’est en compagnon qu’il conduit sa démarche artistique. Ne laissant à personne le soin de créer les outils de sa propre création, il conçoit et construit les instruments qui lui permettront de montrer ce que nous ne voyons plus, à force de l’avoir sous les yeux. Il met également au point des formules et des solutions originales, dont il partage les secrets avec qui les veut. Aucun problème d’expression ne résiste longtemps à sa capacité à marier les techniques, à combiner l’autorité d’une pratique fonctionnelle et les souplesses de l’émotion.
Le coup d’œil est précis, l’observation rigoureuse, le compte rendu loyal, la réalisation sans reproche. Pour autant, toute cette science, qui confère de la stabilité aux images et leur évite d’avoir à romancer la réalité, ne rompt pas le fil de la rêverie.
Le plus souvent, cette rêverie, toute en étonnement et en respect, se veut un hommage aux ouvriers et aux ouvrières dont les prouesses, avec discrétion, avec modestie et dans l’anonymat, enchantent la vie de tous les jours.
Dans ces conditions, tout est motif à Omer Resic, et tout lui est sujet, la broderie précieuse sur un coin de vêtement folklorique comme la façade de maison aux proportions idéalement calculées. Mais aussi la ligne électrique qui épouse le paysage, le champ discipliné par la géométrie des labours, les voies de chemin de fer qui viennent de tous les nulle part et accordent leur faisceau pour aller quelque part. Et même le banal rideau de fenêtre dont les transparences sont tissées d’ornements que la lumière seule et l’artiste ont le pouvoir de révéler.
Franz BARTELT
Ecrivain